Généalogie de ma famille

Supplément aux Mémoires



En écrivant les différentes parties de ces Mémoires , je n'ai point dit le travail intérieur qu'ils m'ont coûté. Il était naturel qu'en m'occupant des hommes et des lieux, je voulusse connaître ce qu'étaient ces lieux et ces hommes. La passion de l'histoire m'a dominé toute ma vie. J'ai souvent entretenu des correspondances sur des faits qui n'intéressent personne : je me plais, par exemple, à savoir comment s'appelle un champ que j'ai vu sur le bord d'un chemin, qui possédait jadis ce champ, comment il est parvenu au propriétaire actuel ; je m'attache de même à découvrir ce que sont devenus des cadets disparus vers telle ou telle époque. C'est ainsi qu'ayant à parler de ma famille, je me suis livré à mes investigations favorites, sans autre intérêt que mon plaisir d'annaliste indifférent d'ailleurs à tous les autres intérêts qu'on peut attacher à un nom : j'ai pensé mourir d'aise quand j'ai découvert que j'avais des alliances avec un vieux prêtre de paroisse nommé Courte-Blanchardiète de la Boucatelière-Foiret, qui demeurait dans un clocher.

J'avais donc réuni sur ma famille ce que j'en avais pu apprendre mais mon texte bourré de ma science devenait long : l'ennui que j'aime à trouver au fond de l'histoire n'est pas du goût de chacun ; c'est pourtant de la succession des terrains arides et féconds que se compose un pays.

Arrêté par mille difficultés, je me résolus à ne mentionner dans mes Mémoires que ce qu'il fallait pour faite connaître les idées de mon père et l'influence qu'elles eurent sur ma première éducation. Une chose me décidait encore à la suppression de ces errements de famille : je possédais le mémorial des titres envoyés à Malte en 1789 pour mon agrégation à l'ordre ; mais je n'avais pas le travail des Chérin sur ces titres ; bien que ma présentation à Louis XVI fît preuve de ce travail, encore me manquait-il, et par conséquent la base de l'édifice. Les deux Chérin, Bernard et son fils Louis-Nicolas, étaient morts ; le dernier, ayant embrassé la révolution, était devenu chef d'état-major de l'armée du Danube. On connaît la sévérité du père et du fils : le premier se plaignait des généalogistes chambrelants (ouvriers qui travaillent en chambre), gens sans études, qui, pour de l'argent, bercent les particuliers d'idées chimériques de noblesse et de grandeurs .

Les archives des Chérin avaient été dispersées quand le passé ne compta plus, mais peu à peu les cartons cachés ou dérobés furent rapportés à notre vaste dépôt littéraire : ils y continuent aujourd'hui une série précieuse de manuscrits.

Le carton dans lequel il est question de ma famille est du nombre de ceux qui n'ont pas été perdus. M. Charles Lenormant, conservateur à la Bibliothèque du roi, sachant que je faisais des recherches, et pensant qu'une communication pouvait m'être utile, a bien voulu me faire part du dossier Chateaubriand. La pièce généalogique dont il m'a été permis de prendre copie est évidemment une minute composée d'abord par le premier Chérin, lorsqu'il fut chargé en 1782 d'examiner les titres de ma soeur Lucile pour son admission au chapitre de l'Argentière ; puis cette minute a été continuée par le second Chérin pour mon frère ; et enfin pour la rédaction du Mémorial des actes authentiques , quand je fus admis dans l'ordre de Malte.

Muni de ces documents, je ne puis plus reculer, car ils ne m'appartiennent pas ; c'est la propriété de mes neveux, aînés de ma famille ; je n'ai pas le droit, pour abonder dans mon opinion particulière, de les priver de ce qu'ils considèrent comme des épaves, produit de leur naufrage.

En plaçant ces arides reliques dans des casiers, je satisfais à ma piété envers mon père, soit que ses convictions aient été risibles ou raisonnables, chimériques ou fondées. J'ai fait les deux parts : les préjugés dans la note, mon indépendance dans le texte. Une fois mon parti pris, j'ai cru qu'il était juste de joindre au travail des généalogistes des ordres du roi les autres documents que je possédais : ces documents ont repris leur valeur, mes propres recherches viennent de nécessité grossir ma collection.

Le nom que je porte ayant traversé beaucoup de siècles, beaucoup d'aventures se trouvent attachées à ce nom : je les mentionne toutes, afin de dissimuler autant qu'il m'a été possible l'ennui du sujet. Je combats aussi les historiens quand le point en litige en vaut la peine ; je montre comment ils se sont trompés, ou par imagination, ou par toute autre cause.

J'ai reporté les notes A et B tout à la fin et hors de mes Mémoires . Mais si ce m'était un devoir de produite la généalogie de ma famille, personne n'est obligé de la lire : ce hors-d'oeuvre peut être passé sans le moindre inconvénient.


Le Mémorial envoyé à Malte en 1789 est d'une grande étendue ; il me fut adressé en 1821 par la lettre ci-jointe :


" Thouars, Deux-Sèvres, 11 juin 1821.


" Monseigneur,

" J'ai l'honneur d'adresser à Votre Excellence les papiers que je vous ai annoncés par ma première lettre ; ils consistent dans une copie du Mémorial des titres, pièces et actes dont s'est servi noble François-René de Chateaubriand pour être reçu de majorité au rang de chevalier de l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, en la vénérable langue de France, prieuré d'Aquitaine. Je ne m'arrêterai point sur le mérite historique de ce procès-verbal de preuves de noblesse qui remontent, en ligne directe, du côté paternel, jusqu'au vingt-troisième aïeul, Brient Ier , seigneur baron du château de son nom, qui se distingua à la bataille de Hastings, en 1067. L'antique origine et l'illustration des Chateaubriand y sont démontrées par les preuves les plus authentiques. Cette maison n'a rien également à désirer du côté des alliances, étant unie à celles de Lusignan, Thouars, Bretagne, Aragon, Rohan, Montmorency, Laval etc., etc.

" Cette copie de Mémorial avait été faite sur un original qui fut dans le temps envoyé à Malte par ledit noble François-René de Chateaubriand , et en était revenu, ce qui est prouvé par les enveloppes du paquet ci-jointes et par la relation honorable (également ci-jointe) écrite de ma main parce que j'étais alors secrétaire de l'assemblée provinciale du grand prieuré d'Aquitaine, tenue à Poitiers les 15 juin et 9 novembre 1789. Mon père, à la même époque, était vice-chancelier dudit prieuré. La minute du registre existe encore. En 1794, les scellés furent apposés sur les archives de l'ordre de Malte, à Poitiers ; cette copie et cette relation s'y trouvaient comprises ; la majeure partie des papiers furent condamnés au feu. Dans ces temps où les familles sacrifiaient elles-mêmes leurs titres originaux pour conserver leur existence, je conçus le projet d'arracher aux flammes quelques débris de ces preuves de noblesse, propres à remplacer un jour les originaux qui n'étaient plus. Mon père et mon frère, collaborateurs aussi courageux que dévoués, sont morts pendant la révolution, etc.

" Je suis, avec un profond respect,

" De Votre Excellence (j'étais ministre)

" Le très humble et très obéissant serviteur,

" Pontois,

" Principal du Collège. "

[ Nous reprenons les découpages effectués par Maurice Levaillant et Georges Moulinier dans l'édition des Mémoires d'Outre-Tombe de La Pléiade de 1946.

Après le texte ci-dessus, Chateaubriand donne trois parties : d'abord la Copie du Mémorial des titres envoyés à Malte par Noble François-René de Chateaubriand, 1789. Celle-ci est suivie de l'énumération des pièces qui permettent de remonter la ligne directe de Chateaubriand du côté paternel jusqu'à Brient, XXIIIe Aïeul paternel :]


Brient Ier, seigneur baron du château de son nom, passa en Angleterre et se trouva à la bataille de Hastings le 14 novembre 1067, où il signala sa valeur et rendit de grands services à Guillaume le Conquérant. Brient était fils d'Eudon, comte de Penthièvre, et d'Onguen de Cornouailles.

Du côté maternel, la ligne directe de Bedée, partant de Demoiselle Apolline-Jeanne Suzanne de Bedée, mère, est suivie jusqu'à Messire Robert Bedée, VIIIe aïeul maternel existant au début du XVIe siècle.

[ La deuxième partie donne les documents de la Bibliothèque royale, provenant du cabinet des Chérin : ]


Preuves de noblesse faites au Cabinet des Ordres du Roi, au mois de septembre 1786, par Jean-Baptiste-Auguste de Chateaubriand, frère aîné de François-René.


L'original de ce Mémoire, écrit tout entier de la main de Berthier, successeur de Chérin, fait partie du Cabinet des titres à la Bibliothèque du Roi.


De Chateaubriand, en Bretagne


Seigneurs de Chateaubriand, Les Roches-Baritaut, Le Lion d'Angers, Chalain, Chavannes, La Bouardière, Beaufort, Le Plessis-Bertrand, Champinel, Glesquen, Montafilant, La Guérande, Bellestre, Gaure-de-Candé, Peneroy, Saint Léger, Camfleur, Tannay, La Grisonnière, Vauregnier, La Ville-André, La Villeneuve, Combourg, Aubigné, Le Boulet, Malestroit à Dol, barons de Chateaubriand, (appelés) comtes de Casan et de Grassay, vicomtes de Remalart, barons de Soigny, et autres lieux.


Armes


Semé de plumes de paon au naturel jusque vers 1260, et depuis de gueules semé de fleurs de lis d'or. Devise : " Notre sang a teint la bannière de France ".

Les monuments de l'histoire de Bretagne placent cette maison au rang des plus illustres de cette province ; elle doit ce rang distingué à son ancienneté qui remonte à l'époque où les surnoms sont devenus héréditaires dans les familles, aux alliances illustres qu'elle a contractées, à ses emplois dans les cours de ses souverains, à ses services militaires dans leurs armées et dans celles de nos rois. (...)

[ La Troisième partie est constituée du travail de Chateaubriand : ]


Après ces deux documents, le Mémorial des titres et le travail des Chérin, il me reste à faire connaître mon propre travail.


Révision et résumé


On a vu dans mon texte qu'on fait venir les Chateaubriand de Tihern, petit-fils d'Alain III, comte ou chef de Bretagne : Dupaz le soutient ; les Bénédictins, dans l' Art de vérifier les dates , suivent Dupaz ; Lebeau admet cette opinion dans son Histoire du Bas Empire , livre 81. Les prénoms des premiers Chateaubriand sont presque toujours Godefroy ou Geoffroy ou Jeffroy, Tihern et Gosch, God-frid ou Theud-rik, Ghisel-hulf : paix de Dieu, puissant parmi le peuple, aide des chefs. " Un gentilhomme mien voisin, dit Montaigne, n'oubliait pas de mettre en compte la fierté et magnificence des noms de la noblesse de ce temps-là, dom Grumedan, Quedragan, Agesilan, et qu'à les ouïr seulement sonner, il se sentait qu'ils avaient été bien autres gens que Pierre, Guillot et Michel. "

Le nom de Château fut ajouté au nom de Brien, selon l'usage de désigner la propriété par le nom du propriétaire. Il ne manque pas d'auteurs qui donnent une origine commune aux O'Brien d'Irlande et aux Brien de Bretagne.

Quoi qu'il en soit, ces derniers Brien, vers le commencement du onzième siècle, communiquèrent leur nom à une forteresse considérable en Bretagne, et cette forteresse devint le chef-lieu de la baronnie de Chateaubriand.

La baronnie de Chateaubriand était la troisième des neuf pairies primitives bretonnes qui donnaient le droit de présider les Etats.

Ces prénoms Tihern, Gosch, etc., sembleraient désigner une origine germanique. Les Francs descendirent dans l'Armorique jusqu'au Morbihan, tandis que les Normands, sur l'autre côté, remontèrent jusqu'à Saint-Brieuc. Dans les gestes de Louis le Débonnaire, on voit qu'il combattait un chef nommé Morman ou Mormoran ; on trouve encore, entre Fougères, Dol et Rennes, des gentilshommes du nom de Monmuran, et un château du même nom.


Première branche

Les barons de Chateaubriand


J'ai dit dans le texte que la famille des Chateaubriand se partagea en trois branches : on trouvait dans la première (celle des barons de Chateaubriand) ce Geoffroy V qui passa avec saint Louis en terre sainte, et dont les armes de pommes de pin d'or furent changées en fleurs de lis sans nombre, comme je l'ai rapporté. Geoffroy V, délivré de sa captivité, vint un soir frapper à la porte de son château : sa femme Sibylle mourut de surprise et de joie en l'embrassant. En mémoire de son esclavage, Geoffroy fonda une maison de religieux de la Trinité pour secourir les captifs chez les Sarrasins. Belle et première aventure dans la branche aînée.

La lignée des barons de Chateaubriand dura trois cent cinquante ans et finit dans la personne de Geoffroy IX, tué au siège de la Roche-Derrien le 20 de juin 1347 ; il combattait pour Charles de Blois contre Jean de Montfort. Ce Geoffroy IX avait épousé Isabeau d'Avaugour, dont il n'eut point d'enfants. Son héritage fut dévolu à Charles de Dinan, héritier de Thomase de Chateaubriand, fille de Geoffroy VII, mariée en 1315 avec Roland de Dinan. Cette Thomase eut pour arrière-petit-fils le fameux Jehan de Tinténiac, qui remporta le prix de la valeur au combat des Trente. Tous les biens des barons de Chateaubriand, et entre autres la baronnie de ce nom, passèrent de la maison de Dinan dans celle de Laval, de celle-ci dans la branche aînée des Montmorency par le connétable, et de cette dernière dans la maison de Condé.

L'aventure de la comtesse de Chateaubriand appartient aux Montmorency-Laval, devenus barons et comtes de Chateaubriand par alliance. J'ai vu dans ma jeunesse, entre les mains de mon père et de mon frère, force mémoires que leur envoyaient des archivistes et des hommes de loi pour venger la mémoire et l'honneur du comte de Chateaubriand. Ils poussaient leur zèle jusqu'à nier les liaisons de la comtesse de Chateaubriand avec François Ier. Ils ne remarquaient pas que si cette histoire touchait au nom de la famille Chateaubriand, elle ne touchait pas à son sang : Françoise, la coupable et peut-être la victime, était la dame de Foix, et le comte de Chateaubriand était Jean de Laval. Au surplus, les peuples pardonnent aisément des faiblesses qu'ils partagent ; l'amour des femmes, quand il ne descend pas trop bas, n'a jamais nui dans les Gaules : Charlemagne a été absous ; les galanteries de Philippe-Auguste, de Charles VII, de François Ier, de Henri IV, de Louis XIV, de tous les chevaliers, depuis Dunois jusqu'à Bayard, ont bravé auprès de la nation les moralités des historiens. Je ne sache pas un Français qui ne reconnût volontiers Aspasie pour sa grand-mère, eût-il à choisir entre elle et Jacqueline de la Prudoterie, sortie d'une maison où le ventre anoblissait, laquelle Jacqueline ne voulut jamais être la maîtresse d'un duc et pair. Je m'arrêterai à cette aventure de la comtesse de Chateaubriand : il y a un point de critique curieux à éclaircir.


Aventure de la comtesse de Chateaubriand.


Matthieu II, baron de Montmorency, qui vivait au treizième siècle, fut marié deux fois ; il eut un fils de chacune de ses deux femmes. Un de ses fils épousa l'héritière de Laval ; de là vinrent les Montmorency-Laval. Ce nom de Laval prévalut de telle sorte, que, dans l'histoire de Bretagne, il fit disparaître presque entièrement celui de Montmorency.

L'autre fils de Matthieu II continua la lignée des Montmorency de l'Isle de France . Ils furent plus connus que les Montmorency-Laval, parce que les chroniqueurs, en écrivant les gestes de nos rois, parlaient nécessairement des seigneurs voisins et vassaux immédiats de ces rois. Les autres familles, aussi anciennes que celles-ci, mais qui vivaient dans les provinces, étaient à peine mentionnées aux annales publiques. C'est ce qui donne la raison du peu de noms historiques que l'on remarque dans notre histoire générale [J'ai fait la même remarque dans les Etudes historiques. (N.d.A.)] .

Le beau temps des Montmorency de l'Isle de France commence à Louis le Gros et finit à peu près à Charles V. Dans cet intervalle on les voit partout à la tête des régences royales, des conseils et des armées, après quoi ils s'éclipsent. Ils n'émergent de nouveau qu'au connétable Anne de Montmorency, qu'on trouve d'abord simple page : mince début pour un homme d'un aussi grand nom. Le connétable, d'une avarice sordide, comme presque tous les Montmorency, recomposa la fortune de ses pères, ou plutôt se fit une fortune immense par la guerre civile et étrangère, les faveurs de la cour, les confiscations et les extorsions. Montmorency-Laval, comte de Chateaubriand, fut lui-même victime de la rapacité du connétable.

Les Montmorency-Laval établis en Bretagne, en épousant diverses héritières bretonnes, avaient pris place entre les premiers seigneurs de cette province. Devenus barons de Vitré et de Chateaubriand, ils s'étaient maintenus en richesses et en honneurs. Jean de Laval-Montmorency, seigneur de Chateaubriand (terre qu'il tenait de son trisaïeul, marié à l'héritière de Dinan-Chateaubriand), Jean de Laval avait à femme Françoise, fille de Phébus de Foix, de la maison qui transmit la couronne de Navarre à la maison d'Albret. Françoise de Foix, comtesse de Chateaubriand était soeur de Lautrec et du maréchal de Foix, braves comme les Grailly, sans avoir les talents du captal de Buch. Selon Varillas et les romanciers qui l'ont suivi (l'auteur des Galanteries des rois de France , Lesconvel, la Dixmerie, madame de Murat, etc.), la dame de Chateaubriand vivait ensevelie dans le vieux château de Chateaubriand, au fond de la Bretagne. Elle ne fut pas si bien cachée que le bruit de sa beauté ne parvînt jusqu'à François Ier. Ce prince qui, détournant le mot de Périclès, disait qu'une cour sans femmes est un printemps sans roses, voulut orner sa cour de la rose prisonnière. Le comte de Chateaubriand était jaloux. De deux bagues parfaitement semblables, il en laissa une à sa femme, lui défendant de quitter sa retraite, quelque instance qu'il lui en fît par écrit, à moins que cet écrit ne fût accompagné de la bague qu'il gardait. (Ceci, soit dit en passant, ressemble beaucoup à l'histoire de Childéric Ier .) La bague du comte lui fut dérobée, mise à son insu dans une lettre d'invitation qu'il envoyait à la châtelaine, et la comtesse de Chateaubriand arriva à Fontainebleau. Elle fut aimée de François Ier, céda à sa passion après une assez longue résistance, et fut ensuite abandonnée par l'inconstant monarque, qui se prit d'un nouvel amour pour mademoiselle d'Heily, duchesse d'Etampes.

" J'ai ouï conter, dit Brantôme, et le tiens de bon lieu, que lorsque le roy François Ier eut laissé madame de Chateaubrient sa maîtresse fort favorite, pour prendre madame d'Estampes... ainsi qu'un clou chasse l'autre, madame d'Estampes pria le roy de retirer de ladite dame de Chateaubrient tous les plus beaux joyaux qu'il lui avoit donnés, non pour le prix et la valeur, car pour lors les pierres n'avoient la vogue qu'elles ont depuis mais pour l'amour des belles devises qui étoient mises, engravées et empreintes, lesquelles la royne de Navarre, sa soeur, avoit faites et composées, car elle étoit très bonne maîtresse. "

Brantôme ajoute que madame de Chateaubriand fit fondre les joyaux, les remit au gentilhomme envoyé de la part de son royal amant en lui disant : " Portez cela au roy, et dites-lui que puisqu'il lui a plu me révoquer ce qu'il m'avoit donné si libéralement, je le lui rends et le lui renvoye en lingots d'or. Quant aux devises, je les ai si bien empreintes et colloquées en ma pensée, et les y tiens si chères, que je n'ai pu souffrir que personne en disposât, en jouît et en eût du plaisir que moi-même. "

La conclusion de tout cela, d'après Varillas, fut que le mari offensé enferma sa femme pendant six mois à Chateaubriand, dans une chambre tendue de noir, et lui fit ensuite ouvrir les veines. La chose advint pendant la captivité du roi à Madrid, en 1526. C'est dommage que la chronologie ne s'accorde point avec cette histoire. Il est certain que madame de Chateaubriand reparut à la cour après la bataille de Pavie, et qu'elle ne mourut que le 16 octobre, en 1537. Le comte de Chateaubriand lui éleva un tombeau décoré d'une statue, et Marot composa l'épitaphe suivante qu'on lisait sur le monument de Françoise, dans l'église des Mathurins, à Chateaubriand :


Epitaphe


Prou de moins Peu de telles Point de plus

Sous ce tombeau gît Françoise de Foix,

De qui tout bien ung chacun souloit dire,

Et le disant onc une seule voix

Ne s'avança d'y vouloir contre dire.

De grand beauté, de grâce qui attire,

De bon sçavoir, d'intelligence prompte,

De biens, d'honneurs, et mieux que ne raconte

Dieu éternel richement l'étoffa.

O viateur pour t'abréger le conte,

Ci gît ung rien là où tout triompha.

décéda le 16 d'octobre 1537.


Il est certain pourtant que le comte de Chateaubriand fut soupçonné d'avoir attenté aux jours de sa femme. Brantôme prétend que M. de Chateaubrient donna sa belle terre de Chateaubrient au connétable de Montmorency pour avoir l'ordre ; sur quoi Le Laboureur fait observer que ce fut pour avoir le gouvernement de Bretagne et aussi pour le tirer de la poursuite que l'on faisait contre lui pour la mort de sa femme, dont il était accusé .

Les Mémoires de Vieilleville disent que le connétable, pour se faire donner la baronnie de Chateaubriand, menaça le comte de le faire poursuivre comme dilapidateur des deniers des Etats de Bretagne. Un factum du connétable de Montmorency contre les héritiers de Jean de Laval, qui lui contestaient la donation de la terre de Chateaubriand, commençait par ces mots : " Les malheurs qui ont accompagné la vie de M. de Chateaubriand sont si connus de toute la France, qu'il est inutile de les rappeler. " Voilà comme la seigneurie de Chateaubriand tomba dans les mains avides du connétable. Marguerite de Montmorency la porta dans la maison de Condé.

Toute la Bretagne se crut offensée par le récit de Varillas ; plusieurs écrivains joutèrent contre lui, entre autre Hevin, avocat au parlement de Rennes.

Mais où l'historien a-t-il puisé le fond de son anecdote ? Je crois l'avoir découvert. Varillas ne ment pas faute d'instruction, mais il a l'inconcevable manie de brouiller les temps, les noms et les faits.

La fin tragique de Gilles de Bretagne, frère du duc François Ier, semble avoir fourni à Varillas une idée vague de son mensonge. Gilles avait épousé Françoise de Dinan, dame de Chateaubriand et héritière de la branche aînée de ma famille. Le favori du duc de Bretagne, Arthur de Montauban, était devenu éperdument amoureux de Françoise ; pour s'emparer de la femme, il résolut de se défaire du mari. Il accusa le prince Gilles auprès du roi de France d'avoir des intelligences avec les Anglais. Gilles fut enfermé, par ordre de son frère le duc François Ier, dans un souterrain du château de la Hardouinaye, et condamné à mourir de faim. Une paysanne le nourrit secrètement pendant trois semaines dans son cachot, elle lui portait du pain et de l'eau par une petite fenêtre grillée de fer qui répondait de sa basse-fosse sur la douve. Les persécuteurs du jeune prince, voyant qu'il vivait toujours, l'étranglèrent le 24 avril 1450.

Le duc François revenait du Mont Saint-Michel , un religieux l'accoste sur la grève et demande à lui parler. " Le duc, se baissant sur l'arçon de la selle pour l'écouter, lui dit : Parlez, mon père. - Monseigneur, dit le cordelier, j'ai ouï en confession monseigneur Gilles de Bretagne, votre frère, quelques jours avant sa mort, lequel m'a chargé de vous aller trouver quelque part que vous fussiez, et vous signifier de sa part que comme appelant de vous le défaut de droit, et de la cruelle mort dont vous l'avez souffert mourir, faute de justice, j'eusse à vous citer à comparoir, en propre personne, d'aujourd'hui en quarante jours, pour tout terme, devant le tribunal de Dieu, le juste juge, pour réparer en sa justice les torts et griefs dessus dits. Partant, je vous fais cette signification de la part du défunt dont j'ai accepté la commission comme ministre de Dieu. "

Gilles fut enterré à l'abbaye de Boquen ; son cercueil fut porté dans une charrette attelée de deux boeufs. Selon la tradition du lieu la charrette entra dans l'église, fit le tour de la fosse, et onques depuis nulle charrette n'a pu passer par le chemin de la Hardouinaye à Boquen. Cette abbaye dans une forêt n'est plus qu'une assez belle ruine.

La veuve du prince Gilles, Françoise de Dinan, comtesse de Chateaubriand, se remaria en secondes noces au comte de Laval.

Quand on tient de l'imagination de Varillas et qu'on remarque les transformations qui s'opèrent dans le cerveau de cet écrivain on est disposé à croire que les aventures du prince Gilles (frère de François Ier, duc de Bretagne ), d'Arthur de Montauban, de Françoise de Dinan, comtesse de Chateaubriand, épouse en secondes noces du comte de Laval, sont devenues, sous la plume de l'historien-romancier, les aventures de François Ier, roi de France , de Montmorency-Laval et de Françoise de Foix, comtesse de Chateaubriand. Ajoutez à ceci que, peu de temps après les malheurs du prince Gilles, François II, duc de Bretagne, prince fort débauché, épousa Marguerite de Foix : c'en était encore assez pour que Varillas, au moyen d'une nouvelle confusion, fit de François II, duc de Bretagne, François Ier, roi de France, et de Marguerite de Foix, Françoise de Foix.


Seconde branche

Les Chateaubriand du Lion-d'Angers


La seconde branche des Chateaubriand fleurit pendant quatre cent vingt ans ; on la voit poindre à Jean, seigneur des Roches-Baritaut et de La Lande, deuxième fils de Geoffroy VI, baron de Chateaubriand. Vers l'an 1260, Jean de Chateaubriand épousa Isabelle-Prévote de Thouars, dame de Chavannes. Il eut en partage de la succession de son père la seigneurie du Lion-d'Angers : il forma le premier degré de la lignée angevine et poitevine des Chateaubriand. Cette lignée eut pour service militaire le comté de Casan au royaume de Naples ; elle fonda une principauté en Illyrie ; elle s'allia deux fois avec la maison de Maillé, trois fois avec celle de Sainte-Maure-Montausier, ce qui a fait dire à Fléchier, dans l'oraison funèbre du duc de Montausier : " La mort lui enleva, dès les premières années de son enfance, un père dont la perte aurait été irréparable, s'il ne fût tombé sous la conduite d'une mère de l'ancienne maison de Chateaubriand, qui, renonçant d'abord à toutes sortes de vanités et de plaisirs pour vaquer dans une triste et laborieuse viduité aux affaires de sa famille, et contenant sous les lois d'une austère vertu et d'une exacte modestie une grande beauté et une florissante jeunesse, sacrifia toutes les douceurs et tout le repos de sa vie à la fortune et à l'éducation de ses enfants. "

Puis viennent Théaude de Chateaubriand ; Georges, son fils capitaine et maître de la vénerie du roi, charge devenue celle de grand veneur ; Philippe, petit-fils de Théaude, chevalier de l'ordre du Roi avant la création de l'ordre du Saint-Esprit ; Gabriel-Philippe, fils aîné de Philippe, tué à la bataille de Lérida le 7 octobre 1642. Gabriel (le jeune), troisième fils de Philippe, mort lieutenant général du gouvernement du bas Poitou, le 8 février 1658.

Ce Chateaubriand était-il celui dont on trouve le nom dans les Mémoires du cardinal de Retz ? " Aimery, avec la noblesse du Vexin, me rejoignit : Chateaubriant, Chateau-Renaut, le vicomte de Lameth, Argenteuil, le chevalier d'Humières, se logèrent dans le cloître. " (Livre 3.)

" Chateaubriand, qui était demeuré dans les rues pour observer la marche de M. le Prince, m'étant venu dire, en présence de beaucoup de gens, que M. le Prince serait dans un demi-quart d'heure au palais, qu'il avait pour le moins autant de monde que nous, mais que nous avions pris nos postes, ce qui nous était d'un grand avantage, je lui répondis : Il n'y a certainement que la salle du palais où nous les sussions mieux prendre que M. le Prince. " (Livre 4.)

Raymond de Chateaubriand, fils de Gabriel le Jeune, mourut sans postérité après l'an 1671, et Susanne de Chateaubriand, sa soeur, décéda sans alliance. En lui finit la branche des Roches-Baritaut ou du Lion-d'Angers.

Sur la branche des Chateaubriand des Roches-Baritaut , ou du Lion-d'Angers , je reçus de Poitiers une lettre datée du 16 août 1819, qui m'était adressée par M. de La Fontenelle, conseiller à la cour royale. Elle contenait ce passage : " Je profite de la circonstance, monsieur le vicomte, pour vous adresser copie d'une pièce que vous serez, je pense, bien aise d'avoir : je veux parler de l'épitaphe d'un de vos parents qui ornait avant la révolution l'église de Saint-Germain de Prinçay dans la Vendée. Vous n'ignorez sans doute pas qu'une branche de votre maison a habité plusieurs siècles ce bon pays et possédé le comté des Roches-Baritaut qui appartenait en dernier lieu au comte Claude de Beauharnais. Cette terre a été vendue, il y a peu de temps et à très bas prix (moins que le denier 20). Le château, mis à la moderne et très habitable, est encore à la disposition du premier acquéreur qui se présentera. Qu'il serait agréable pour les Vendéens, dont vous êtes le défenseur si zélé, de vous voir devenir leur compatriote ! Si ce voeu pouvait vous toucher, vous n'auriez qu'à m'écrire et j'entrerais avec vous dans de plus longs détails.

" J'ai l'honneur d'être, etc.

" Signé : De La Fontenelle. "


Epitaphe de Philippe de Chateaubriand

Comte des Roches-Baritaut


Placée dans le choeur de l'église de Saint-Germain-de-Princay ( Vendée )


Arrête, passant,

Et révère ici ce que l'Espagne a redouté ;

C'est le coeur de messire Philippe de Chateaubriand,

Comte des Roches-Baritaut, maître de camp

D'un régiment de cavalerie française et maréchal de camp

Es armées de Sa Majesté.

La grandeur de sa naissance répondit par tout

A celle de sa vie.

La nature lui donna des vertus, et le temps

Des occasions de les faire paraître.

Il apprit de son père les principes de la guerre,

Tant par les exemples que par les leçons.

Pour donner à Dieu les prémices de sa valeur

Il défit à quatorze ans les ennemis de la Foi,

En Poitou, les sujets rebelles, en Ré, les voisins orgueilleux

Où il releva son père,

Et son cheval ayant été tué

Lui donna le sien ;

Il le suivit dans cette île et au siège de La Rochelle

Comme Pyrrhus Achille à celui de Troies.

Il fut aussi prompt à secourir nos alliés qu'à dompter

Nos ennemis

Et fit deux campagnes en Piémont

Et au secours de Casal ;

Il eut part en toutes les occasions d'Allemagne et de Flandre ;

Il combattit à Corbie Jean de Werthel, Piccolomini,

Et fut leur prisonnier

Après avoir percé vingt escadrons,

Non vaincu, mais las de vaincre ;

La gloire fut le seul prix de sa rançon.

Il s'est trouvé en trente combats ou sièges de places

Et en deux batailles ;

Ce nombre égale à peu près

Celui de ses années, celles d'Alexandre.

Il fut peu plus glorieux en sa mort qui prévint

Son triomphe

A la bataille de Lérida, il fit son monument

De ses trophées

Et mourut victorieux

A l'âge de trente et quatre ans,

Le septième du mois d'octobre 1642.

Passant, avoue que ce coeur que l'Espagne a redouté

Mérite d'être révéré, sous cette lame élevée à sa mémoire

Et à la douleur d'un père inconsolable

Qui lui a rendu

Les honneurs qu'il devait recevoir de lui.


Troisième branche

Les Chateaubriand de Beaufort


Enfin la troisième branche des Chateaubriand rivalisa d'éclat et de richesse avec celle de la branche aînée, les barons de Chateaubriand. Elle est antérieure d'origine à la branche angevine, car elle prend naissance à Geoffroy V, et la branche angevine à Geoffroy VI.

Brient ou Briand de Chateaubriand, second fils de Geoffroy V, baron de Chateaubriand et de Sibylle, sa première femme, siégea dans l'ordre des barons aux Etats tenus à Rennes en 1286. Il avait épousé en 1251 Jeanne, dame de Beaufort, fille unique et héritière d'Alain, sire de Beaufort et de Dinan, d'où ces Chateaubriand prirent la qualification des sire de Beaufort.

Bertrand, fils de Brient, épousa Tiphaine Du Guesclin, dame du Plessis-Bertrand, fille de Pierre Du Guesclin (et non d'Olivier), frère du connétable.

Le fils de Bertrand de Chateaubriand fut Brient V, qui reçut de Charles VII, en récompense de ses services, la charge de chambellan de la couronne.

Renée de Chateaubriand, héritière non mariée de la seigneurie de Beaufort, vendit en 1662 le chef-lieu à Pierre de Goyon, ou plutôt l'échangea pour la terre de Gordiseul.

Un cadet d'une branche collatérale des Chateaubriand de Beaufort (Christophe II, comme je l'ai dit dans le texte) avait eu en partage la terre de La Guérande et donna naissance à cette lignée des Chateaubriand de La Guérande, laquelle est venue se perdre et se confondre dans celle de mes aïeux paternels.

A propos de la troisième branche des Chateaubriand de Beaufort, un ancien et savant élève de l'école des Chartes, M. Floquet, a inséré ce récit dans son Histoire du privilége de la fierte ou de la levée de la châsse de saint Romain à Rouen.


1576. La fierte accordée à une dame noble du pays de Bretagne qui avait fait assassiner son mari.


" Ce succès incomplet ne rebuta point le chapitre ; et l'année suivante il fit un choix plus scandaleux encore dans la personne de Jacqueline (ou Jacquemine) du Boysrioult, dame noble du pays de Bretagne.

" Dès son jeune âge, Jacquemine du Boysrioult avait été promise en mariage au sieur de Kargouët de Vauvert, " jeune gentilhomme à qui elle portait grande amitié. " Mais les parents de Guy de Guite sieur de Vaucouleurs, firent tant auprès des oncles de la jeune fille que ces derniers " rompirent leur promesse et contraignirent leur nièce de fiancer et d'épouser à la même heure le sieur de Vaucouleurs. " Elle alla demeurer à Dinan avec son mari. Cette union forcée devait être fatale aux deux époux. Vaucouleurs, non content d'entretenir chez lui des filles de mauvaise vie, contraignait sa femme à les souffrir à sa table. Elle n'osait résister, tant elle craignait les violences de son mari qui souvent " l'avait chassée hors de la maison et quelquefois même l'avait enfermée prisonnière dans une chambre secrète. " De là, dans le coeur de cette femme outragée, une haine violente et une soif de vengeance qui devait amener une catastrophe. Briant de Chateaubriand, puîné de la maison de Beaufort, venait souvent chez Vaucouleurs, dont il paraissait rechercher la soeur en mariage. Mais ses assiduités s'adressaient à Jacquemine du Boysrioult dont il était épris. En proie au désir de la vengeance, Jacquemine du Boysrioult dénonça un jour à Chateaubriand les mauvais traitements que lui prodiguait son mari. Elle osa lui demander un crime affreux ; sa main, son coeur, étaient à ce prix. A peu de jours de là, le sieur de Vaucouleurs fut assassiné, comme il revenait de Broons à Dinan, et trois mois après Chateaubriand était l'époux de Jacquemine du Boysrioult. Cependant la justice avait informé sur l'assassinat du sieur de Vaucouleurs. L'horrible vérité avait fini par se faire jour. Chateaubriand et le sieur de Beaufort, son beau-frère longtemps fugitifs, étaient, après cinq ans de vaines poursuites, tombés entre les mains de la justice, et convaincus de l'assassinat de Vaucouleurs, avaient eu la tête tranchée à Rennes sur un échafaud. Dénoncée par eux dans leur testament de mort Jacquemine de Boysrioult, qui s'était réfugiée en Normandie, avait été condamnée par le Parlement de Bretagne (le 25 septembre 1574) " à estre bruslée vifve. " En 1576 elle vint à Rouen se jeter aux genoux des députés du chapitre et leur demander la fierte. Elle fut élue.

" Amenée devant le Parlement, et assise sur la sellette elle se garda bien d'abord d'une sincérité qui ne pouvait que la perdre.

" Elle dit qu'à l'âge de douze ans elle avait été mariée au sieur de Vaucouleurs qui " la traictait mal, vivoit en concubinage avec des filles, et la maltraictoit fort. " Après quinze ans d'union, le sieur de Vaucouleurs était mort, lui laissant trois enfants. Quelques mois après, et du consentement de ses parents et de ceux de son mari décédé, elle avait épousé en secondes noces le sieur Briant de Chateaubriand. Mais dans la suite, ce dernier fut accusé d'avoir fait assassiner M. de Vaucouleurs son premier mari. Le Parlement de Bretagne lui fit son procès, ainsi qu'aux sieurs de Beaufort et des Noës, ses complices ; ils furent condamnés à mort et eurent la tête tranchée. Pour elle, qui avait toujours ignoré le crime de son second mari, elle avait été soupçonnée d'abord de complicité, et même arrêtée, mais, relâchée bientôt, elle s'était retirée chez des parents du sieur de Vaucouleurs, son premier mari, qui l'avaient bien reçue, certains qu'ils étaient de son innocence. Depuis quelque temps elle était en Normandie, et sachant qu'en Bretagne on en était revenu à la soupçonner de complicité dans l'assassinat de son premier mari, et que même le parlement de Bretagne l'avait condamnée à mort par contumace " craignant la justice de Bretaigne, elle estoit venue à Rouen pour avoir le privilége et éviter la rigueur de justice. " Elle protestait de son innocence, n'ayant pas (elle le confessait) " esté marrye de la mort de son premier mary, veu qu'il la maltraictoit, mais n'ayant jamais connivé à cet assassinat qu'elle détestoit, et qu'elle avoit même ignoré longtemps. "

" L'avocat général Bigot dit que Jacquemine du Boysrioult avouoit " qu'elle n'avoit pas été marrye de la mort de son premier mary, " mais niait toute complicité avec les auteurs de l'assassinat ; rien ne prouvait cette complicité ; " et puisqu'il estoit reçu que les estrangers jouyssoient de ce privilége, " il ne s'opposait pas à ce qu'elle fût délivrée au chapitre pour lever la fierte.

" Le Parlement commençait à délibérer, et allait certainement rendre un arrêt favorable, lorsque Jacquemine du Boysrioult, qu'on avait fait retirer, envoya un huissier annoncer " qu'elle vouldroit bien dire encore quelque mot à la cour. " Devant les commissaires du chapitre, elle avait confessé son crime ; et l'on vient de voir qu'au contraire devant le Parlement elle l'avait nié ; mais elle s'en était repentie presque aussitôt, et, dans sa perplexité sur l'issue de la délibération de la cour, elle espéra se sauver par un aveu plus sincère. Assise de nouveau sur la sellette, elle dit qu'elle avoit cédé à ceulx qui avoient faict l'homicide ; outrée qu'elle estoit contre son mary qui lui estoit ainsi maulvais et estrange, qui la battoit, la mettoit en prison, pour raison des g... qu'il avoit avec lui à pain et à pot chez lui, en sa présence, couchant avec elles, en sa maison, elle lui avait faict des remontrances, mais il ne s'en divertissoit (corrigeait) point. Le sieur de Chateaubriand lui ayant demandé s'elle vouloit qu'il l'en délivrast, elle s'en estoit rapportée à lui, disant qu'elle ne se soucyoit qui mourut d'eux deux. " Le sieur de Chateaubriand l'avait tué ou fait tuer, mais à son insu ; depuis elle l'avait épousé en secondes noces du consentement de sa famille et de celle de son mari décédé ; mais " il avoit attendu longtemps après à lui dire " qu'il " avoit tué le sieur de Vaucouleurs son premier mary. "

" Cet aveu imprudent et encore incomplet changeait bien la face des choses. Emeric Bigot se leva de nouveau et tonna contre l'épouse homicide et sans doute adultère. " Tout ainsy, dit-il, que les Athéniens n'avoyent mis de loix aux parricides, ainsi les rois de France n'en ont faict pour ung cas sy meschant que celui que vous venez d'entendre. Il y a véhémente présomption d'adultère. Chasteaubriand ayant épousé Jacquemine du Boysrioult après avoir tué son mary. " L'homme du roi déclara que si la prisonnière était du ressort du Parlement de Normandie, lui et ses collègues poursuivraient la punition de ses forfaits, mais, appelé seulement à parler sur le privilège invoqué par elle, il concluait à ce qu'elle fût déclarée indigne de cette grâce.

" Le Parlement, dont les révélations imprudentes qu'il venait d'entendre avaient changé les dispositions, déclara que la " damoyselle Jacqueline du Boysrioult et ses complices et adhérens estoient indignes de jouyr du privilége de Monsieur Sainct Romain, et que, nonobstant l'eslection faicte de sa personne par le chapitre pour en jouyr, il seroit procédé contre elle et ses dictz complices, tout ainsy que si elle n'avoit esté eslue. " Il fut convenu, toutefois que " Jacqueline du Boysrioult serait délivrée par provision pour estre menée en la procession et solemnitez accoutumées, afin d'éviter à la commotion populaire, à charge d'estre ressaisie, ensuite et remise sous la main de iustice. " Alors furent introduits les chapelains et les confrères de saint Romain, on ne leur lut que la clause de l'arrêt qui ordonnait que la dame du Boysrioult serait délivrée par provision. Etonnés de ces expressions, qui leur parurent non sans cause cacher quelque arrière-pensée, ils dirent " qu'ilz ne pouvoient prendre la prisonnière à cette charge. " Mais on leur répondit qu'ils n'avaient pas de procuration du chapitre pour faire cette requête, " et, sans autrement délibérer per vota , il fut, unanimi voto de la compaignye, arresté qu'il leur seroit dict qu'ils eussent à emmener la prisonnière. " Jacquemine du Boysrioult figura donc à la cérémonie du jour, et leva la fierte ; mais les soupçons des chapelains et maîtres de la confrérie de saint Romain ne furent que trop justifiés, et le soir, au moment où la noble prisonnière sortait de la cathédrale, sa couronne de fleurs sur la tête, se croyant libre désormais, elle fut saisie par des archers, et ramenée à la conciergerie du Parlement.

" C'était, en deux années, deux échecs que recevait le privilége. Au chapitre, on se plaignit fort de " messieurs de la court, qui ne taschaient que à énerver, voire du tout anéantir ledict privilége. " Le chapitre écrivit au cardinal de Bourbon, et le pria de solliciter du roi " des lettres qui enjoignissent au Parlement de faire jouyr du privilége ceux qui estoient esleus, suyvant l'octroy d'icelluy, sans y mettre aulcunes modifications. "


Confirmation du privilège par Henri III


Le cardinal de Bourbon eut recours à Henri III, qui, dès le mois de juin, donna des lettres patentes plus favorables, ce nous semble, au privilége qu'aucunes de celles émanées des rois ses prédécesseurs. " Considérant, dit-il, que si les homicides pourpensez (prémédités) estoient distraictz du privilége sainct Romain, il seroit du tout inutile, estant les autres homicides remis par la voie ordinaire de nostre puissance, et, par ce moyen, la grâce du bénéfice d'iceluy privilége seroit abolie... Ensuivant la saincte intention de nos prédécesseurs, voulons estre imitateurs de leur dévotion et piété, etc..., avons confirmé, ratifié et approuvé le privilége sainct Romain et les lettres patentes du feu roy nostre très-honoré sieur et frère, du mois de mars 1559 ; voulons qu'elles sortent leur plein et entier effet, sans aucune restriction et modification ; que le chapitre puisse élire tous les ans un prisonnier, quelque crime qu'il ait commis, réservé le crime de lèse-majesté divine et humaine, et que le prisonnier délivré soit mis en toute liberté, sans pouvoir être puni et recherché pour les crimes auparavant faicts. " Le roi, par cet édit, mettait au néant les arrêts rendus en 1575, relativement à Delaporte, et, en 1576, relativement à Jacquemine du Boysrioult ; il ordonnait la mise en liberté immédiate de ces prisonniers, et la mainlevée de leurs biens.

On voit que mon frère n'est pas le premier Chateaubriand qui ait porté sa tête sur un échafaud.


On s'était trompé dans ma famille lorsqu'on avait cru qu'Alexis de La Guérande, descendant direct des Chateaubriand de Beaufort, n'avait eu qu'une fille : la lettre suivante prouve qu'il avait eu un fils nommé Jean-Jules-Joseph, en qui a failli sa lignée.


" Monsieur le vicomte,

" Madame veuve de Laviez, soeur utérine de mon épouse ayant fait à ma fille unique dot de la terre de La Guérande, qui lui est échue le 2 octobre 1818, par le décès de M. Jean-Jules-Joseph de Chateaubriand, son oncle germain, j'ai découvert parmi les papiers qui se sont trouvés dans la maison principale de cette terre des manuscrits à moitié rongés par l'humidité qui pourraient servir à rétablir la généalogie de votre illustre maison, si les originaux remis à M. votre père , et confiés par suite à M. de Bedée, suivant leurs récépissés que j'ai joints au paquet qui renferme lesdits manuscrits, se trouvaient égarés.

" Ma belle-soeur m'ayant autorisé à vous les envoyer, je les adresse à M. le vicomte de Grassin pour qu'il vous les remette suivant ses intentions.

" Le nom de la branche aînée de votre maison se trouve éteint par la mort de M. Jean-Jules-Joseph de Chateaubriand, et cette branche sera elle-même éteinte par le décès de ma belle-soeur, veuve, âgée de cinquante-cinq ans, sans hoirs de corps, mais elle vivra dans ses autres branches, en dépit des massacres que la révolution a exercés sur elles.

" Votre courage secondé de votre génie à soutenir les intérêts du trône et de la légitimité serviraient à en relever l'éclat, si elles en avaient besoin.

" Ma belle-soeur me charge de vous témoigner la satisfaction qu'elle éprouvera si l'envoi que je vous fais peut vous être agréable. Elle vous offre ses civilités ainsi que mademoiselle de Bedée, que j'ai rencontrée ce matin et que je vois assez régulièrement tous les dimanches au soir chez elle.

" J'ai l'honneur d'être, etc.

" Signé Sudric. "

" A Dinan, ce 27 février 1820. "


Les papiers mentionnés dans cette obligeante lettre sont des extraits des différentes généalogies des Chateaubriand, sans aucune importance ; mais je donne ici le récépissé de mes deux oncles paternel et maternel, des titres que leur avait remis M. de Chateaubriand de La Guérande. L'auteur de la lettre, M. Sudric, a pris seulement M. de Chateaubriand-Duplessis, frère de mon père, pour mon père. Les deux reçus sont écrits en entier de la main de mes deux oncles.


Quatrième degré

Production de François sur le degré de son père Jean, deuxième du nom.


" Je soussigné Pierre-Anne-Marie de Chateaubriand, seigneur du Val, reconnais que messire Alexis de Chateaubriand, chevalier, seigneur de La Guérande, chef de nom et d'armes de notre maison a bien voulu me confier pour faire les preuves de mon fils aîné (Pierre Duplessis, que mon oncle fit recevoir page de la reine) l'arrêt de noblesse, par original de l'année mil six cent soixante-neuf, avec vingt-trois autres pièces, partages, contrats de mariage et autres pièces de toute espèce de différentes dates, pour prouver la filiation : lesdites pièces sur vélin ; de plus sur papier vingt-une pièces, toutes lesquelles sont des originaux chiffrés de Chateaubriand de La Guérande, lesquelles pièces je m'oblige sur ma parole d'honneur de lui remettre le plus tôt possible sous peine de tout dommage.

" Signé de Chateaubriand-Duplessis. "

" A la Guérande, ce 24 septembre 1778. "


" Aux fins de la lettre de monsieur de Chateaubriand de Combourg, du 25 décembre dernier, M. de Chateaubriand de La Guérande, chef de nom et d'armes de la maison de Chateaubriand, a bien voulu me confier vingt-trois pièces servant à la généalogie de sa maison, que je m'oblige à lui faire rendre aussitôt qu'elles seront revenues de chez M. Chérin, le généalogiste de la cour.

" Signé de Bedée Bouetardaye.

" A la Guérande, le 4 janvier 1782. "


" J'ai laissé ci-attachée la lettre du 25 décembre, de Bedée, le 31 août 1782. De plus, pris six pièces qui regardent également la généalogie.

" Signé de Bedée Bouetardaye.

" A la Guérande. "


Je trouve dans mes papiers un autre reçu des titres communiqués par M. de Chateaubriand de La Guérande ; il est écrit de la propre main de mon malheureux frère : ce sont les seules lignes que je possède de lui.


" Je reconnais que M. le vicomte de Chateaubriand m'a remis le nombre de onze pièces, dont huit en vélin et trois en papier, pour servir à la preuve de la maison de Chateaubriand.

" De Chateaubriand. "

" A la Guérande, le 7 octobre 1786. "


Ces pièces ont servi à l'établissement de la généalogie. Ce fut Bernard, le premier Chérin, qui eut d'abord, comme on le voit, la connaissance de nos titres, ainsi que le prouve le récépissé des pièces données par M. de Chateaubriand de La Guérande. Mon oncle maternel, M. de Bedée, en recevant ces pièces le 4 janvier 1782, s'engage à les rendre aussitôt qu'elles seraient revenues de chez M. Chérin, le généalogiste de la cour. Que de labeurs pour certifier qu'il a existé des cendres !